05 juin 2025
On n’est jamais aussi bien que chez soi

Après des décennies passées à rechercher des rendements à l’étranger, les investisseurs canadiens pourraient bientôt trouver des raisons de revenir chez eux.
Au cours des dernières années, l’exposition au marché national a été progressivement réduite au profit d’une diversification internationale et ce, principalement pour de bonnes raisons. Les États-Unis ont enregistré des rendements supérieurs selon presque tous les indicateurs : croissance économique, rentabilité des entreprises, rendements boursiers et innovation financière. Ce positionnement en faveur de « l’exceptionnalisme américain » a dominé les décisions en matière de répartition d’actifs, tant au niveau des fonds de pension que des institutions et des ménages.
Figure 1 :
La vent tourne pour la domination américaine
Comme nous l’avons souligné dans « Soldes après incendie pour le billet vert », la chute du dollar américain en 2025 a été à la fois brutale et révélatrice. L’indice du dollar américain (DXY) a reculé d’environ 8 % depuis le début de l’année, reflétant en grande partie une réévaluation du rôle des États-Unis dans l’ordre mondial (voir la figure 1).
En effet, bien que les écarts de taux d’intérêt (qui constituent généralement un facteur fondamental déterminant pour la valorisation des devises) continuent de nettement favoriser le dollar américain (voir la figure 2), ces facteurs sont actuellement relégués au second plan, les marchés restant concentrés sur le repositionnement général mondial au détriment des actifs américain.
Figure 2 :
Les actions américaines ont également enregistré un rendement inférieur à celui des autres catégories d’actifs depuis le début de l’année, l’indice S&P 500 affichant une hausse d’environ 1 % depuis le début de l’année, contre 7 % pour les actions canadiennes. Les actions des marchés émergents et de la zone euro ont également généré de solides rendements (voir la figure 3).
Figure 3 :
Deux forces sont à l’œuvre ici :
Le désengagement des positions : Les investisseurs non américains avaient accru leur surpondération en actifs américains. À titre d’exemple, les participations étrangères dans les actions américaines ont augmenté pour atteindre près de 20 % du marché des actions américain (voir la figure 4) Le rééquilibrage risque ici d’être chaotique si les investisseurs internationaux vendent, ou même s’ils commencent à réduire la surallocation des flux.
Figure 4 :
L’érosion de la confiance : Bien que les tensions commerciales se soient apaisées au cours du dernier mois, l’incertitude demeure élevée par rapport aux niveaux d’avant 2025 (voir la figure 5). L’imprévisibilité persistante entourant la politique commerciale, la fiscalité, la discipline budgétaire, et même l’indépendance de la Fed, incite à réévaluer le rôle des États-Unis en tant que pilier de l’économie mondiale.
Figure 5 :
Les portefeuilles canadiens sont désormais des portefeuilles internationaux
En 2024, les Canadiens détenaient 6,3 billions $ d’actifs américains, dont 3 billions dans des investissements en portefeuille (voir la figure 6).
Figure 6 :
Près de 80 % de ces actifs sont investis dans des actions, le reste étant composé de titres à revenu fixe (voir la figure 7).
Figure 7 :
Les fonds de pension, en particulier, se sont fortement tournés vers les États-Unis. Ce changement s’est opéré sur plusieurs décennies. Au cours des 25 dernières années, la part des actifs nationaux détenus par les principaux fonds de pension publics canadiens a fortement diminué, tandis que l’exposition aux actifs étrangers et non cotés (tels que l’immobilier, les infrastructures et le capital-investissement) a augmenté de manière constante (voir la figure 8). Ce qui a changé, c’est le profil risque-rendement de ce biais.
Figure 8 :
Pourquoi le Canada pourrait être considéré comme un pari plussûr?
Les portefeuilles mondiaux devraient commencer à refléter un retour de la préférence nationale : une conséquence naturelle de la montée des risques géopolitiques, de la détérioration des relations commerciales et du recul de la confiance envers les alliances économiques de longue date. Pour les Canadiens, cette préférence, qui s’explique par divers facteurs, pourrait s’avérer particulièrement utile pour les raisons suivantes :
La couverture de l’exposition aux États-Unis offre désormais un potentiel de rendement : Historiquement, la détention de dollars américains servait de couverture naturelle contre les épisodes mondiaux d’aversion au risque. Cette corrélation inverse est en train de s’estomper. Le huard s’est apprécié de près de 5 % depuis le début de l’année, non pas en raison de la vigueur de l’économie nationale, mais plutôt grâce à la faiblesse généralisée du dollar américain.
Stabilité relative des politiques canadiennes : Bien qu’imparfait, le cadre politique canadien a su éviter les revirements brusques observés chez son voisin du sud. La stabilité réglementaire, le respect constant de l’État de droit et la crédibilité de la banque centrale pourraient sembler de plus en plus attrayantes pour les capitaux nationaux et étrangers. De plus, maintenant que les élections fédérales sont derrière nous, l’incertitude politique s’est atténuée. Le programme du nouveau gouvernement libéral marque également un pas en avant par rapport à celui de son prédécesseur, en mettant à nouveau l’accent sur la mise en place d’une économie nationale plus résiliente, ce qui constitue une raison évidente d’être optimiste. Des changements dynamiques en matière de politique peuvent être bénéfiques dans certains cas, mais les investissements ont, dans l’ensemble, besoin d’un contexte stable (55 modifications tarifaires en 115 jours ne nous semblent pas être un gage de stabilité).
Faible pondération nationale = forte sensibilité aux flux : L’ampleur considérable du sous-investissement canadien dans les actifs nationaux signifie qu’il suffirait d’un changement mineur pour avoir des répercussions importantes sur les prix. Même une réallocation modeste des actifs américains vers les actifs canadiens, qu’elle provienne des fonds de pension, des institutions ou des ménages, pourrait avoir un effet marqué sur les actifs canadiens. Cet argument est d’autant plus renforcé par la valorisation relative des actifs canadiens, qui demeurent attrayants par rapport à leurs homologues américains (voir la figure 9).
Figure 9 :
Qu’est-ce qui pourrait déclencher une rotation?
Nous voyons trois catalyseurs plausibles qui pourraient stimuler une reprise de la demande pour les actifs canadiens :
Instabilité politique aux États-Unis : La volatilité provenant des politiques actuelles, alimentée par les tensions commerciales, les changements dans les alliances internationales et les questions relatives à l’indépendance monétaire, pourrait inciter les investisseurs à faire preuve d’une plus grande prudence à l’égard des actifs américains.
Changements en matière de politique fiscale : Les propositions aux États-Unis visant à augmenter les retenues d’impôt à la source pour les investisseurs étrangers pourraient dissuader davantage les Canadiens de détenir des actifs américains. Une source majeure de préoccupation est l’article 899 du projet de loi américain sur la réconciliation budgétaire, déjà adopté par la Chambre des représentants mais pas encore par le Sénat. Si elle est adoptée dans sa forme actuelle, elle viserait les pays appliquant des politiques fiscales dites « discriminatoires », la taxe sur les services numériques du Canada en étant un exemple flagrant. Si cette mesure est maintenue dans la version finale du projet de loi de réconciliation budgétaire, elle pourrait accélérer le désengagement vis-à-vis du marché américain.
Revalorisation du marché : À mesure que les marchés mondiaux intègrent une baisse du rôle du dollar américain et un affaiblissement de la demande étrangère pour les actifs américains, des occasions de valeur relative pourraient se présenter dans des secteurs canadiens sous-représentés.
En résumé : le moment est venu d’envisager à nouveau le Canada
L’argument en faveur d’un regain d’intérêt pour les actifs canadiens repose sur des occasions concrètes plutôt que sur le sentiment. Pendant une grande partie de la dernière décennie, le Canada a été perçu comme une source, et non pas comme une destination de capitaux. Mais avec l’évolution des flux de capitaux mondiaux, un regain d’intérêt réfléchi pour les actifs canadiens prend de l’ampleur.
Soyons clairs, les États-Unis demeurent la première économie mondiale et abritent les marchés financiers les plus vastes et les plus attrayants pour les investisseurs. Il ne s’agit pas d’abandonner l’exposition aux États-Unis, mais plutôt de réduire progressivement les positions qui sont devenues largement surpondérées dans de nombreux portefeuilles mondiaux. Même un renversement partiel de l’orientation des portefeuilles canadiens, une orientation établie depuis plusieurs décennies, pourrait avoir des répercussions considérables sur les marchés boursiers et de crédit au Canada.
L’occasion ne réside pas seulement dans ce qui se passe à l’étranger, mais aussi dans ce qui pourrait se passer au sein de nos frontières. De nouveaux investissements au Canada pourraient contribuer à inverser la tendance à la baisse des investissements des entreprises, en stimulant la productivité par la modernisation des équipements, l’innovation et le renforcement des capacités. Cela pourrait soutenir une croissance économique plus vigoureuse et améliorer la compétitivité du Canada à long terme.
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Glossaire :
Corrélation : une mesure statistique de la façon dont deux titres se déplacent l’un par rapport à l’autre. Une corrélation positive indique des mouvements similaires, à la hausse ou à la baisse, tandis qu’une corrélation négative indique des mouvements opposés (quand l’un monte, l’autre baisse).
À propos de l’auteur
Lorne Gavsie est Vice-président principal et Chef de la macro-économie et gestion des devises chez Gestion Mondiale d’Actifs CI (GMA CI). Dans le cadre de ses fonctions, il est chargé de diriger les efforts reliés à la macroéconomie et à la gestion des devises, d’exploiter l’expertise et les connaissances à l’échelle mondiale de GMA CI, de produire de l’analyse pour l’équipe d’investissement et de fournir à nos clients des renseignements opportuns. Il est également responsable des stratégies de superposition de devises et de couverture de GMA CI. Lorne possède plus de 25 ans d’expérience dans le domaine et se spécialise dans les devises, le courtage et les marchés mondiaux.
Avant de se joindre GMA CI en 2015, Lorne a occupé différents postes au sein de grandes banques canadiennes, notamment celui de directeur général, devises européennes, basé à Londres, et celui de responsable mondial, change électronique, basé à Toronto.
Lorne est titulaire d’un MBA de la London School of Economics & Politics, HEC Paris et NYU Stern (collectivement appelés TRIUM) et est membre du Comité canadien des marchés de change (CCMC) de la Banque du Canada.
À propos de l’auteur
Neil Shankar est économiste chez Gestion mondiale d’actifs CI, où il est chargé de surveiller les principales tendances macroéconomiques et de façonner les perspectives économiques de GMA CI. Il participe activement aux discussions sur les placements et la répartition d’actifs, contribuant ainsi à orienter la prise de décision.
Collaborateur principal de la publication « Perspectives sur le capital » de GMA CI, Neil y partage ses points de vue approfondis sur l’évolution de la conjoncture économique. Il interagit également fréquemment avec les parties prenantes au sein de l’organisation et à l’extérieur, contribuant ainsi à approfondir la compréhension du paysage économique. Il est régulièrement cité dans la presse pour ses opinions sur l’économie et les marchés.
Fort de plus de 10 ans d’expérience dans le secteur, Neil a rejoint GMA CI en 2024 après avoir occupé des postes similaires au sein d’autres grandes institutions financières canadiennes. Neil est titulaire d’une maîtrise en économie d’entreprise de l’Université Wilfrid Laurier et d’un baccalauréat (avec distinction) en économie de l’Université Western Ontario.
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